« En tant qu’apnéiste et biologiste marin, je m’engage depuis toujours pour la préservation des océans. C’est donc avec fierté que je m’associe à Ethic Ocean, une organisation dont la vision responsable et bienveillante résonne profondément avec mes valeurs. Ensemble, nous œuvrons pour un rapport plus respectueux et conscient à la mer, ce monde fragile qui nous inspire et nous fait vivre.«
Loïc Kosho Vuillemin
« L’apnée est bien plus qu’un sport : c’est une relation intime avec l’océan. Depuis mes débuts, j’ai été témoin des changements qui menacent ses écosystèmes, du blanchissement des coraux à la disparition des espèces. Cette proximité m’a donné l’envie d’agir concrètement.
En collaborant avec Ethic Ocean, nous souhaitons transformer ce lien privilégié en engagement réel pour protéger la mer et sa biodiversité. »
Frédéric Lemaître
« Pour sauver l’océan, il faut d’abord plonger en soi »
Je suis né en Suisse et j’ai grandi avec le rêve du Grand Bleu.
À l’adolescence, je croyais que plonger dans les profondeurs était réservé à quelques élus. Cette fascination s’est d’abord exprimée à travers la spiritualité : à vingt ans, je suis devenu moine bouddhiste zen, cherchant à comprendre le lien entre l’humain et le vivant.
Ce n’est qu’en 2013 que j’ai découvert qu’on pouvait apprendre l’apnée. Le choc.
J’ai suivi un premier cours en 2014 et j’ai été bouleversé : les apnéistes vivaient ce que j’avais toujours cherché à travers la méditation — la conscience du souffle, la présence totale, la communion avec l’instant.
Encouragé par mon maître, j’ai décidé de devenir instructeur d’apnée. Sous la guidance de Steeven Keenan, j’ai surmonté mes peurs — celle des profondeurs, de la mer, des requins — et obtenu ma certification en 2017.
Peu après, j’ai quitté le monastère, convaincu que ma voie spirituelle passait désormais par l’océan. En 2018, je me suis installé en Égypte, sur les rives de la mer Rouge, pour enseigner une pratique mêlant méditation zen et apnée.
Ma peur des profondeurs s’est changée en respect, puis en amour.
L’apnée est devenue ma discipline de vie : une manière d’être heureux, lucide et à ma place. Chaque immersion est une prière.
Cette connexion m’a mené vers la compétition internationale, mais surtout vers une compréhension plus profonde de notre lien à la nature.
La beauté du bleu, la rencontre avec une tortue, un requin, un banc de poissons — tout cela me rappelle combien la mer est un miroir de nous-mêmes.
Dans l’eau, je me sens en paix, en harmonie avec ce monde fragile et merveilleux.
Un jour, en prière avant un entraînement, j’ai entendu une voix me dire :
« Désormais, tu ne parleras plus à tous les habitants de la mer, mais à moi. Mon nom est Samudradeva. »
Puis, la voix ajouta :
« À partir de maintenant, tu ne manqueras jamais de ramasser le plastique que tu trouves. »
J’ai obéi. Ce jour-là, alors que je ramassais les déchets flottants, j’ai croisé un requin mako. De la peur est née une expérience d’unité : plus de différence entre lui et moi, deux êtres fatigués, cherchant à survivre.
Je suis ressorti indemne, mais profondément transformé. Cet épisode m’a appris que l’océan peut être un maître spirituel, parfois rude, toujours juste.
Cela fait plusieurs années que je plonge chaque jour dans la mer Rouge.
Sa beauté reste saisissante, mais la dégradation est visible : coraux qui s’éteignent, tortues plus rares, poissons en quête de nourriture.
Même dans cette mer résiliente, la vie marine décline à une vitesse perceptible à l’échelle d’une vie humaine.
Je suis convaincu que rien ne changera sans une révolution intérieure — un basculement profond de nos valeurs et de notre rapport au vivant.
Nous devons cesser de considérer la nature comme un décor, et retrouver en nous le respect sacré du monde qui nous porte.
L’apnéiste est le dernier venu des mammifères marins.
Nous ne restons que quelques minutes sous l’eau, mais nous avons la parole. Nous pouvons témoigner et agir.
Beaucoup viennent plonger pour la beauté ou la performance, mais notre influence peut aller bien au-delà.
Avec l’ONU, j’ai contribué à adapter le programme Green Fins aux apnéistes, afin d’encourager une approche plus éthique et responsable.
Dans mes cours, j’enseigne comment approcher le sauvage sans déranger, ramasser les déchets, choisir les bons comportements sous l’eau.
J’aimerais que la nouvelle génération trouve son « hype » non pas dans la performance, mais dans le respect du monde marin.
L’océan n’est pas un terrain de jeu : c’est un maître, un refuge, et un miroir.
Et si l’humanité veut un avenir, c’est peut-être en suivant le chemin du souffle et du silence qu’elle le trouvera.
Depuis toute petite, j’ai toujours été attirée par la mer. Avec mes parents, nous alternions les vacances entre la montagne et le bord de l’eau. À huit ans, j’ai fait ma première plongée avec des tortues. Ce moment m’a profondément marquée : j’ai su que je voulais continuer à explorer l’océan.
À 13 ans, j’ai convaincu mes parents de m’inscrire à un cours d’apnée, et c’est ainsi que j’ai commencé « sérieusement ». À 16 ans, j’ai participé à un challenge en Grèce où l’on devait plonger uniquement avec un pince-nez. En deux jours, j’ai atteint les –52 mètres et compris que j’avais un réel potentiel.
Deux ans plus tard, j’ai participé à ma première compétition officielle, les championnats d’Italie, où j’ai remporté une médaille d’argent.
« Sous la surface, je deviens un avec l’océan : chaque souffle, chaque profondeur me rappelle sa beauté fragile et m’invite à le protéger. »
Plonger en mer, pour moi, c’est magique. L’océan est le plus bel endroit du monde et le bleu est ma couleur favorite. Chaque immersion est une source inépuisable de sensations.
Je ressens une fusion : mon corps, mon souffle, l’eau et les profondeurs deviennent un tout. Le bruit du monde extérieur s’efface, l’oxygène devient précieux, et l’on entre dans un état de conscience presque méditatif.
En milieu naturel, je fais aussi face à la majesté, mais parfois à l’hostilité de l’élément : l’ombre, la pression, la solitude sous la surface. Cela m’enseigne le respect et l’humilité, et renforce ma connexion avec la mer.
L’un de mes souvenirs les plus marquants est ma plongée aux côtés de baleines bleues au Sri Lanka. Ce contact avec un animal immense et majestueux m’a laissée émerveillée. Ces expériences me rappellent que l’océan n’est pas seulement un terrain de performance, mais un lieu de rencontre avec la vie et l’inconnu.
Aujourd’hui, il n’existe plus un coin de l’océan qui ne soit pas impacté par la pollution ou le changement climatique. Les côtes sont saturées de constructions, le corail souffre, la vie marine se raréfie ou se déplace, et la pollution est omniprésente.
Nous, les apnéistes, avons une responsabilité particulière. Beaucoup imaginent les impacts de la pollution ou de la surpêche, mais nous, nous les vivons directement.
Plonger dans le silence et l’obscurité nous rend des témoins légitimes et des porte-voix pour alerter les consciences. En juin 2025, à Marseille, nous avons plongé pour dénoncer la surpêche, même dans les réserves marines protégées. Même si nos voix n’ont pas été entendues comme nous l’espérions, l’important est de continuer à alerter et à mobiliser l’opinion publique.
Chaque apnéiste peut devenir un ambassadeur de la mer, un pont entre ce monde silencieux et le monde à la surface qui l’ignore. Pour moi, l’apnée est un véritable vecteur de prise de conscience.
Originaire de la Sarthe, en France, j’ai toujours aimé la mer, que je retrouvais chaque été avec mes parents. Mais c’est en 2010, en arrivant en Nouvelle-Calédonie, que l’apnée a véritablement pris une place centrale dans ma vie. Le lagon y est si splendide qu’on a immédiatement envie de s’y plonger. Très vite, pourtant, une frustration est apparue : je voulais rester plus longtemps sous l’eau.
Je me suis donc inscrit dans le club Apnea, et j’ai commencé à pratiquer sérieusement. J’ai gravi les différents niveaux jusqu’à obtenir, en 2013, celui d’encadrant. Mon objectif était clair : permettre une pratique sûre, notamment pour la chasse sous-marine. J’ai aussi accompagné des amis qui lançaient leur propre structure.
En piscine, nous évoluons dans un environnement parfaitement maîtrisé, propice à la concentration et au travail technique.
Mais en mer, tout change. On entre dans un autre monde, un état de symbiose avec l’océan. C’est un sentiment de plénitude, de bien-être, et surtout d’humilité. Le lagon est vivant : poissons tropicaux, requins, parfois même dugongs… C’est un écosystème d’une richesse incroyable.
Ces dernières années, plusieurs accidents impliquant des requins ont marqué la Nouvelle-Calédonie. À chaque incident, l’écho médiatique est fort… mais les données scientifiques, elles, manquent cruellement.
Avec un vétérinaire reconnu — aujourd’hui installé en Polynésie — nous avons donc créé une association d’observation des requins. L’idée : recueillir des informations fiables et enrichir la connaissance locale. Aujourd’hui, nous observons régulièrement une vingtaine d’espèces, mais nous savons qu’il en existe plus d’une cinquantaine autour du territoire.
Je me souviens d’une plongée avec Pierre Crubillé, un ami proche et vice-champion d’apnée. Nous étions descendus à environ 50 mètres lorsque, soudain, des raies manta sont apparues autour de nous.
C’était irréel, suspendu dans le temps. Un de ces instants où tout s’arrête, où l’on ne fait plus qu’un avec la mer.
Globalement, le lagon calédonien se porte bien. Les récifs coralliens sont encore très présents, les populations de poissons aussi. La faible densité humaine, une pêche sélective et un code de l’environnement bien conçu — notamment en Province Sud — contribuent à cet équilibre.
Mais cet équilibre reste précaire. Sur un territoire aussi restreint, les dérèglements peuvent être rapides. Après une série d’attaques de requins, par exemple, une campagne d’abattage a été lancée. En conséquence, certaines espèces comme les carangues ont proliféré, privées de leurs prédateurs naturels. À cette échelle, les déséquilibres écologiques peuvent survenir en un rien de temps.
Comparée à d’autres régions, la pression de pêche reste modérée : une vingtaine de bateaux ciblent les thonidés à la palangre, chacun embarquant un observateur. Depuis mon arrivée, je n’ai pas constaté de baisse notable des populations ni de diminution de la taille des poissons. Le lagon reste, pour l’heure, relativement préservé.
Le principal défi, c’est le manque de recul scientifique : nous avons besoin d’indicateurs fiables et régulièrement actualisés pour suivre l’évolution de cet écosystème.
Un épisode de blanchissement des coraux a eu lieu il y a quelques années, mais la situation s’est depuis stabilisée.
Les industries lourdes, en particulier les usines métallurgiques de nickel, sont soumises à une réglementation stricte. Elles consomment pourtant énormément d’énergie et génèrent des rejets et des déchets qu’il faut surveiller de près.
Les associations environnementales jouent ici un rôle essentiel. Même encadrées, ces activités comportent toujours des risques : émissions de CO₂, rejets chimiques, pollution potentielle des eaux côtières.
Un autre point de vigilance concerne les navires de croisière, dont l’impact, bien que ponctuel, peut être significatif.
Les apnéistes, comme tous les usagers du lagon, ont un rôle à jouer. Chacun doit être impliqué et sensibilisé. Les mentalités évoluent : on perçoit un esprit plus collectif, plus respectueux. Mais il faut aller plus loin.
C’est aussi une question politique : il faut des décisions fortes, des investissements durables. Le lagon est fragile, et tout change très vite.
Nous, les apnéistes, sommes en contact direct avec le vivant. À nous de remonter les informations, de rester vigilants, de jouer notre rôle de « sentinelles de la mer ».
L’océan est immense, mais il demeure vulnérable. Et c’est notre responsabilité de le protéger.
Je suis née à La Réunion, au bord de l’océan. C’est là que tout a commencé. Mon père, vétérinaire et passionné de chasse sous-marine, m’a transmis très tôt l’amour de la mer. Pour moi, ce n’était pas un sport, mais un lien familial, presque un héritage.
À 18 ans, je découvre la compétition d’apnée. À l’époque, la discipline restait très confidentielle, avant même l’élan populaire qu’a provoqué Le Grand Bleu. Je me lance alors dans le « poids constant monopalme » : des descentes profondes, longues, exigeantes.
En 2009, j’ai décidé d’arrêter. J’avais atteint mes limites. J’ai compris que l’apnée n’était pas une fin en soi, mais un moyen d’expression. Et ce moyen allait devenir artistique.
Un an plus tard, en vacances avec Guillaume Néry, nous commençons à filmer. De cette expérience est né Free Fall, mon tout premier court-métrage. J’y ai découvert un langage : celui du corps, de la danse sous l’eau, de la caméra comme prolongement du mouvement.
Ma mère était danseuse. Ce lien entre l’eau et la grâce du geste m’a semblé évident, presque naturel.
« Plonger pour raconter le monde »
L’eau est un monde à part, un univers de silence et de lenteur. Sous la surface, tout change : le corps, l’esprit, la perception du temps.
En apnée, je suis totalement présente. L’eau m’apaise, me recentre. Le temps s’étire, comme suspendu.
J’aime cette distorsion du temps, cette sensation d’apesanteur qui me déconnecte du monde terrestre. C’est une forme de méditation en mouvement.
Je garde en mémoire un moment fort du tournage de One Breath Around the World. Nous étions aux Philippines, dans un lac volcanique. Aucun poisson, aucune algue, juste la roche, le minéral. Plus nous descendions, plus l’eau se réchauffait.
C’était à la fois étrange et fascinant, comme une inversion sensorielle. On plonge dans la chaleur au lieu du froid. Ce genre d’expérience bouscule nos repères et nous rappelle à quel point l’océan reste plein de mystères.
Aujourd’hui, les changements sont visibles à l’œil nu : coraux blanchis, eaux plus troubles, moins de vie, plus de plastique — partout, même dans les endroits les plus reculés.
Au départ, je voulais simplement filmer la beauté du monde sous-marin. Puis j’ai compris que mes images pouvaient éveiller les consciences.
Avec le collectif On est prêt, nous avons lancé un projet mêlant art et action : films, pétitions, kits de dépollution, solutions concrètes. L’idée n’était plus seulement de sensibiliser, mais d’inviter à l’engagement. Montrer la beauté ne suffit pas ; il faut agir pour la préserver.
La hausse des températures de l’océan est frappante. Les algues prolifèrent, les équilibres marins se modifient.
À La Réunion, la situation liée aux requins illustre bien ce déséquilibre. Quand j’étais jeune, je pouvais chasser librement. Aujourd’hui, tout a changé : les eaux sont plus turbides, la pollution altère les repères sensoriels des animaux. On sent que la mer est différente.
Être apnéiste, c’est vivre dans un autre monde, développer une sensibilité unique.
L’apnée, c’est regarder autrement, c’est donner à voir ce qui se passe sous la surface.
Il existe mille manières d’être ambassadeur des océans : par le sport, l’image, la transmission.
Mon engagement, à moi, passe par la création. Parce que raconter la mer, c’est déjà commencer à la protéger.
« Créer du lien entre les gens et l’océan pour que la connexion devienne engagement. »
L’eau a toujours occupé une place essentielle dans ma vie. En 2004, j’étais moniteur de plongée au Honduras, puis j’ai commencé à pratiquer l’apnée en Thaïlande, à une époque où j’enseignais aussi le yoga.
C’est venu naturellement : l’apnée rassemblait trois choses qui me passionnaient — l’eau, le yoga et la méditation. Très vite, j’en suis devenu instructeur, et j’ai pris un immense plaisir à enseigner cette discipline.
Quand je suis arrivé à Bali, il n’y avait encore aucun apnéiste installé ici. En 2010, j’ai donc décidé d’y fonder mon propre centre.
Mon enseignement repose sur une approche lente, pédagogique et introspective, nourrie du yoga et de la méditation.
Je ne donne pas de certifications à la fin des cours : ce n’est pas l’objectif.
Ce qui compte, c’est de transmettre des outils de sécurité et d’autonomie, pour que chacun apprenne à gérer son souffle, à accueillir la montée du CO₂ sans panique, et à transformer cette contrainte en plaisir.
L’apnée exige d’être pleinement présent, à soi et à l’instant. C’est cette présence totale, simple et sincère, que j’aime transmettre.
Je garde en mémoire un moment fondateur, à mes débuts.
Je me trouvais à environ 35 mètres de profondeur, quand une vague de panique m’a saisi sous l’effet de la pression. J’ai alors appliqué les techniques de méditation que je connaissais — et tout a changé.
Ce qui était un moment de peur s’est transformé en instant de grâce.
C’était il y a dix-huit ans, mais cette expérience reste gravée en moi. Elle m’a appris que même dans les situations extrêmes, il est possible de transformer l’inconfort en beauté. C’est à cet instant que je suis vraiment tombé amoureux de l’apnée.
Ici, à Bali, l’océan me surprend par sa résilience. Il arrive que les coraux blanchissent, puis retrouvent leurs couleurs. Je n’ai pas observé de dégradation dramatique, et c’est rassurant.
Ce qui m’a le plus marqué, en revanche, c’est la pollution plastique.
Il y a une quinzaine d’années, c’était catastrophique : entre 2010 et 2015, pendant la saison des pluies, la mer était littéralement envahie de déchets charriés par les rivières depuis Bali et Java.
Depuis, les choses s’améliorent. La jeunesse locale est plus consciente, les lits des rivières sont nettoyés, et même si tout n’est pas parfait, les progrès sont réels.
Un autre problème persiste : les rejets des hôtels et restaurants, qui provoquent des phénomènes d’eutrophisation et la prolifération d’algues vertes.
Heureusement, Amed, plus préservée et moins touristique, reste encore relativement épargnée.
Les apnéistes — comme les surfeurs, les plongeurs, ou toute personne qui passe du temps dans la nature — sont aux premières loges.
Ils voient ce qui se passe.
Et parce qu’ils sont souvent créatifs, engagés et visibles à travers leurs activités ou les réseaux, ils peuvent devenir de puissants ambassadeurs de l’océan : témoigner, sensibiliser, inspirer, agir.
Nous avons besoin de cette énergie collective.
Ici à Amed, j’essaie de créer un lien fort entre les gens et la mer, pour que cette connexion intime devienne un véritable engagement.
Je suis originaire de Sicile, j’ai grandi au bord de l’eau, toujours en contact avec la mer.
J’ai commencé la chasse sous-marine à l’âge de 11 ans. Quelques années plus tard, j’ai troqué le fusil contre une GoPro : je voulais capturer, non plus chasser. C’est ainsi que j’ai commencé à photographier et filmer le monde sous-marin.
De formation, je suis designer graphique. J’aime créer, composer des images. Après mes études, j’ai déménagé à Milan, où je travaillais dans une agence en design, vidéo et photographie, avec deux collègues et amis.
À cette période, je collaborais déjà avec un professeur sur des photos sous-marines, comme si l’eau m’appelait toujours.
En 2015, j’ai tout quitté pour partir à Charm el-Cheikh en tant que photographe.
Un an plus tard, en 2016, j’ai découvert l’apnée aux côtés d’Andrea Zuccari. Cette rencontre a tout changé : l’apnée m’a offert une autre manière d’être dans l’eau, plus libre, plus intime.
« Sous l’eau, tout devient silence, lumière et rencontre. »
Pendant la période du Covid, la mer était calme, presque déserte. Les requins-baleines étaient nombreux. Un soir, au coucher du soleil, alors que le récif s’étendait derrière moi et que le grand bleu s’ouvrait devant — la fameuse Golden Hour — j’ai aperçu une silhouette immense s’approcher. Sur le moment, j’ai cru à un requin-tigre. Sous l’eau, les distances sont trompeuses. C’était en réalité un jeune requin-baleine. Il est resté un long moment près de nous, curieux, paisible.
Un autre souvenir marquant : une plongée à 40 mètres avec un ami. Soudain, deux espadons voiliers nous ont entourés, majestueux, rapides comme des éclairs.
Et puis, il y a cette rencontre bouleversante avec un requin longimane. De loin, j’ai vu quelque chose d’étrange : un énorme hameçon planté dans sa mâchoire, avec deux mètres de corde traînant derrière. Il avançait lentement, comme un survivant d’une blessure invisible. Son regard m’a profondément marqué.
Pendant le confinement, à Charm el-Cheikh, j’ai observé un phénomène fascinant : la biodiversité revenait. Les espèces qu’on ne voyait plus depuis des années réapparaissaient. Les eaux étaient pleines de vie : poissons, requins, coraux vivants. Mais dès que les bateaux touristiques ont recommencé à circuler, tout a disparu. C’était la preuve, flagrante, de la fragilité de l’équilibre marin.
À Dahab, vit la plus grande communauté d’apnéistes au monde. C’est une communauté forte, unie, très connectée — notamment à travers les réseaux sociaux. Nous passons nos journées dans l’eau : nous sentons, physiquement, à quel point cet écosystème est fragile.
Ici, chacun essaie de faire sa part. Au Blue Hole, nous ramassons régulièrement le plastique que nous trouvons, sans qu’il soit nécessaire d’organiser des journées officielles. Le vent, la chaleur et la sécheresse font que le plastique se désagrège vite, rendant le nettoyage difficile. Mais tout le monde participe, naturellement, par respect pour cet endroit unique.
Le tourisme, par ailleurs, a un impact considérable : les déchets, les rejets, le bruit. Il est urgent de sensibiliser les visiteurs à ces enjeux.
La mer n’est pas seulement un décor ou un terrain de jeu : c’est un monde vivant, qu’il faut protéger.
« On ne protège que ce que l’on connaît »
Ingénieur océanographe de formation, j’ai découvert l’apnée un peu par hasard.
Pendant mes études en océanographie physique, j’ai eu la chance d’effectuer un stage de recherche en Polynésie française. Ce voyage a bouleversé mes plans : j’ai compris que je voulais vivre au plus près de l’océan, non pas seulement pour l’étudier, mais pour en faire mon quotidien.
Après quelques années de travail, j’ai décidé de me reconvertir. J’ai passé mon Brevet d’État de plongée bouteille en Guadeloupe, avec l’idée de voyager autour du monde pour trouver l’endroit idéal où m’installer.
Ma première escale fut la Thaïlande. En attendant des amis, j’ai poussé la porte d’une école d’apnée pour une simple initiation.
Deux jours plus tard, tout avait changé : je n’ai plus jamais plongé avec des bouteilles.
L’apnée a redéfini ma vie, mes voyages, ma façon d’être au monde. J’ai passé deux ans à explorer, à apprendre, à m’immerger. Et lorsque l’occasion s’est présentée, j’ai repris un club d’apnée aux Philippines, où je vis désormais.
Calme et sérénité
Rien n’égale les sensations que procure l’apnée.
Sous l’eau, tout se tait. Le corps devient fluide, léger. Le mouvement se fait simple, essentiel.
C’est un état de calme absolu, de sérénité profonde — une forme de méditation suspendue dans l’immensité du bleu.
Aux Philippines, j’ai découvert à quel point la mer peut être à la fois sublime et meurtrie.
Certains sites sont d’une beauté inouïe : des récifs colorés, une faune abondante, une vie foisonnante. Mais d’autres portent encore les cicatrices de pratiques destructrices comme la pêche à la dynamite ou à l’arsenic, longtemps répandues. Ces techniques ont laissé derrière elles des zones mortes, où plus rien ne pousse.
Même si elles sont désormais interdites, elles refont parfois surface. Les choses progressent, lentement, grâce à la sensibilisation et aux initiatives locales. Mais il faut rester vigilant et continuer à se battre chaque jour pour préserver ce qu’il reste de ces écosystèmes fragiles.
Je me souviens d’une sortie en mer, au large de Cebu, avec un groupe d’élèves. L’eau était calme, la visibilité parfaite. Une tortue est passée tout près de nous, à moins de deux mètres. C’était magique.
Au retour, pendant le débriefing, un élève m’a demandé, tout sourire :
« Est-ce que la prochaine fois, je pourrai la toucher ? »
Ce jour-là, j’ai compris à quel point notre rôle d’enseignant dépasse la technique.
J’ai pris le temps de leur expliquer le rôle du mucus protecteur chez les tortues, le stress que le contact humain peut leur causer, et plus largement, la responsabilité que nous avons en tant qu’apnéistes.
Nous sommes des témoins privilégiés de la vie marine — mais aussi des modèles, parfois sans le vouloir.
Depuis, j’ai intégré à mes formations une séquence sur les écosystèmes et l’éthique marine : comment observer sans perturber, quelles crèmes solaires éviter, comment réagir face à un animal sauvage.
Nous terminons parfois nos sessions par un nettoyage de plage ou une discussion autour des filets abandonnés. L’objectif n’est pas d’être parfait. C’est d’apprendre à faire mieux, petit à petit.
Former une nouvelle génération d’apnéistes conscients, respectueux et fiers de protéger ce qu’ils aiment.
Ambassadeurs de l’océan
Les apnéistes sont au contact direct des écosystèmes marins.
À ce titre, nous avons un rôle essentiel à jouer dans leur préservation.
Cela passe par plusieurs leviers :
Montrer la beauté du monde sous-marin — car on ne protège vraiment que ce que l’on connaît.
Transmettre les bons réflexes à chaque élève : ne pas toucher, ne pas nourrir, comprendre avant d’interagir.
Utiliser nos réseaux et nos images pour sensibiliser et inspirer, sans dramatiser ni culpabiliser.
Intégrer l’éducation environnementale dans chaque niveau d’enseignement, de l’initiation au perfectionnement.
Agir concrètement, à travers des nettoyages, des actions locales, des partenariats avec des associations.
Nous ne sommes pas seulement des sportifs. Nous sommes des ambassadeurs de l’océan.
Et à travers chaque plongée, chaque image, chaque mot partagé, nous pouvons contribuer à une chose essentielle : reconnecter l’humain à la mer.
Doctorante en philosophie des sciences, spécialisée dans la phénoménologie des profondeurs, Inès Leferme poursuit la pratique de l’apnée dans la lignée de son père, tout en menant des recherches qui tissent un lien étroit entre expérience corporelle et réflexion théorique.
Pour elle, plonger, « c’est d’abord explorer la relation entre l’humain et le milieu : un dialogue actif, sensible et patient avec la mer ».
Ses racines sont marines. Ses parents se sont rencontrés au bord de la Méditerranée, là où elle retourne encore chaque été — sur les rochers de Coco Beach ou de la Réserve, à Nice.
Sa mère a grandi dans les eaux chaudes de la Guyane, et son père, Loïc Leferme, cofondateur du CIPA, le premier club d’apnée AIDA, y a repoussé les limites de la profondeur.
Lorsqu’elle naît, il atteint déjà les –100 mètres en No Limit, avant de descendre jusqu’à –171 mètres en 2004, établissant cinq records du monde.
Inès grandit entre la mer et l’école du Port, entre les entraînements de son père et ses propres jeux d’enfant dans l’eau claire.
Après l’accident qui l’a emporté en 2007, la mer est restée leur refuge — un lieu de mémoire, de lien et de continuité.
« En apnée, ce n’est pas nous qui choisissons la mer — c’est elle qui nous accepte. »
Entre deux mondes
L’apnée, Inès la pratique presque malgré elle — « sans la vouloir, sans la nommer ».
C’est une manière de persévérer, de renouer avec son histoire, de se fondre dans cet élément devenu son sanctuaire.
À chaque immersion, quelque chose se détache :
« En traversant la surface, une fine pellicule de mon corps reste derrière moi, comme une mue, et dévoile plus clairement mon esprit.
Plonger, c’est franchir un seuil : passer d’un monde à l’autre, d’un moi à l’autre.
Un moi plus pur, plus neutre, dont le seul devoir est de s’accorder à un milieu qui n’est pas le sien.
Pour moi, l’apnée, ce n’est pas aller profond, mais rester longtemps. »
Sous l’eau, elle devient partie du décor. L’air cesse d’être essentiel ; seule demeure la présence.
Quand elle regagne la surface, elle ne revient jamais tout à fait la même.
« Chaque immersion est un instant suspendu. »
La Méditerranée, qu’elle connaît depuis l’enfance, lui offre ses lumières familières et la compagnie des castagnoles, girelles paon et pélagies.
Le silence, la lenteur, la lumière qui vibre au-dessus d’elle : tout y compose une forme d’accord parfait entre corps et monde.
« Dans ces moments-là, j’ai l’impression d’épouser le rythme réel de mon corps. C’est la plus belle sensation que je connaisse. »
Explorer les profondeurs, c’est accepter la temporalité qu’impose la mer.
C’est une pratique de patience, de responsabilité, une discipline d’exploration consciente où l’on apprend à suspendre sa vie pour écouter le monde.
Dans ce dialogue entre le souffle et le silence, l’apnéiste laisse derrière lui une part de son corps pour gagner un peu d’être.
La profondeur devient alors un espace de transformation, de connaissance, d’accord avec la nature.
Cette attitude — humble face à l’intensité du monde, courageuse dans sa retenue — ouvre une voie d’adaptation respectueuse et protectrice.
Elle suppose une vigilance exemplaire, une éthique du geste, et la conviction que comprendre le monde, c’est d’abord apprendre à s’y fondre.
« Nous sommes les premiers témoins des transformations de l’océan. Il nous revient d’agir. »
Mon père, militaire, était passionné par la mer. Pendant qu’il pratiquait la chasse sous-marine, moi, enfant, je marchais au fond de l’eau.
Nos étés se déroulaient à Majorque : je sautais des falaises, plongeais dans la mer, avec pour tout équipement un masque et un tuba que j’enfilais une fois dans l’eau.
Je croisais alors une grande diversité d’espèces — parfois même des dauphins. Ils nous observaient autant que nous les observions.
Depuis, cette fascination pour la mer et la vie marine ne m’a jamais quitté.
Devenu adulte, j’ai fondé les premiers clubs d’apnée en Normandie puis en Auvergne, avant d’intégrer l’équipe de France, où j’ai évolué jusqu’en 2012.
En parallèle, mon parcours scientifique m’a conduit à étudier la physiologie des environnements extrêmes, et notamment la résistance au manque d’oxygène — chez les apnéistes, mais aussi dans d’autres disciplines sportives et dans certaines pathologies.
J’explore ainsi les liens entre l’hypoxie saine du sportif et celle, pathologique, rencontrée par exemple dans l’obésité.
La mer apporte l’apaisement, le repos, le calme. Elle recentre sur soi, loin du tumulte et de la lumière.
L’élément liquide — qu’il s’agisse d’un océan ou d’un lac — invite à la méditation. En mouvement ou immobile, l’apnéiste est ancré dans l’instant présent, pleinement conscient de son souffle et de son corps.
Sous l’eau, je me sens à la fois connecté à l’océan et infime face à son immensité. C’est une expérience d’équilibre, de plénitude et d’humilité.
En Nouvelle-Calédonie, j’ai eu la chance d’explorer des fonds encore vierges : certaines zones, difficilement accessibles, demeurent intactes, avec des récifs coralliens qui n’ont jamais vu l’homme.
Mais ailleurs, notamment autour de Nouméa, notre impact est évident.
L’océan change : il se réchauffe, il s’appauvrit, il est envahi par le plastique.
Le bruit aussi est devenu une pollution majeure : le trafic maritime explose et perturbe profondément les espèces.
Certaines études alertent désormais sur un point de bascule possible, lié à la diminution du phytoplancton — ce puits naturel de carbone dont dépend l’équilibre climatique mondial.
Si l’océan perd cette capacité d’absorption, le réchauffement s’accélérera inévitablement.
L’apnée porte en elle une idée de mouvement et de lien.
Les apnéistes entretiennent une relation intime avec l’océan, souvent plus profonde que celle des habitants du littoral.
Il y a vingt-cinq ans, nous étions peu nombreux, mais déjà très sensibles aux enjeux environnementaux.
Je me souviens avoir été marqué, enfant, par le drame de l’Amoco Cadix.
Plus tard, la catastrophe de l’Erika a été pour moi un véritable déclencheur : j’ai ressenti le besoin d’agir concrètement pour protéger ces écosystèmes.
Aujourd’hui, des centres d’apnée existent partout dans le monde.
Beaucoup de pratiquants cherchent avant tout une reconnexion à la nature, un bien-être global.
Nombre d’entre eux s’engagent dans des actions locales : nettoyages de plages, sensibilisation, projets écologiques.
Mais il faut aller plus loin.
C’est pourquoi j’ai souhaité collaborer avec Ethic Ocean, afin de porter la voix des apnéistes au service de la préservation marine.
Nous sommes souvent les premiers témoins du blanchissement du corail, de la disparition des espèces, de la perte de biodiversité.
Nous devons désormais être acteurs du changement.
Avec Ethic Ocean, nous avons l’opportunité de transformer ce regard privilégié en engagement concret.