Barrages hydroélectriques ; turbines ; stations de pompage ; seuils ; écluses… Comme
tous les migrateurs, l’anguille rencontre de nombreux obstacles lors de ses
déplacements vers l’amont comme vers l’aval. Les cours d’eau français comptent plus
de 110 000 ouvrages d’art, soit en moyenne, un tous les 3,8 km ! Des obstacles que
l’anguille ne peut souvent ni franchir ni contourner, nuisant non seulement à son cycle
de vie mais la précipitant également parfois vers la mort.

Remonter les cours d’eau douce français n’a rien d’un long fleuve tranquille pour les anguilles. Après
avoir e<ectué un trajet long de 6 000 km depuis la mer des Sargasses, les leptocéphales qui arrivent
sur nos côtes regagnent les estuaires pour devenir civelles puis coloniser nos fleuves et nos rivières.
Ce séjour en eau douce, qui peut durer 5 à 20 ans et les faire voyager sur plusieurs centaines de
kilomètres, leur est nécessaire pour croître et se transformer en anguilles jaunes puis argentées, avant
de faire le chemin retour vers l’océan pour s’y reproduire.
Cette épopée est rendue encore plus di<icile par l’Homme car les anguilles doivent a<ronter une
multitude d’ouvrages d’art qui parsèment nos cours d’eau. Plus de 112 000 obstacles sont aujourd’hui
recensés par l’OFB (O<ice français de la Biodiversité) sur les 430 000 km de cours de fleuves et de
rivières qui parcourent la France, soit un tous les 3,8 km. Selon l’IPBES (l’équivalent « biodiversité » du
GIEC), la fragmentation écologique – et notamment celle des cours d’eau – est l’une des principales
causes d’érosion de la biodiversité.
Une entrave à la libre circulation de cette grande migratrice
Les ouvrages les plus infranchissables pour les espèces piscicoles sont bien sûr les barrages, dont la
construction s’est développée depuis la fin du 19e siècle pour produire de l’électricité. On compte
plus de 2 500 barrages hydroélectriques sur les cours d’eau et les lacs français. Sept cents d’entre eux
stockent l’eau sur des hauteurs variant de cinq à quelques dizaines de mètres, voire 180 m pour le
plus haut de France (celui de Tignes sur le Lac du Chevril). Les autres barrages sont posés dans le lit
d’une rivière ou au pied d’une chute d’eau. Ils produisent l’électricité « au fil de l’eau », c’est-à-dire en
continu, en fonction du débit de la rivière.
Quelle que soit leur taille, les barrages hydroélectriques constituent des entraves à la fois pour la
migration de l’anguille vers l’amont mais aussi vers l’aval, lorsqu’elle cherche à regagner l’océan pour
s’y reproduire. Les anguilles argentées peuvent alors se faire tuer en passant dans les turbines dont
les pales les découpent en morceaux.
Les seuils, petite hauteur mais grande nuisance
L’anguille est également exposée à des ouvrages plus modestes en apparence mais qui peuvent
également stopper sa circulation : les seuils. Ces ouvrages de faible hauteur représentent plus de la
moitié des obstacles répertoriés en France. Ils ont été construits au cours du 20e siècle pour stabiliser
les lits des cours d’eau fragilisés par les prélèvements de granulats (graviers notamment) ou pour
l’irrigation. Ces seuils sont aujourd’hui inutilisés à 90 %, mais ils continuent à segmenter nos rivières
et à interrompre les migrations des espèces amphihalines.
Enfin, un dernier type d’ouvrage empêche les anguilles d’e<ectuer leur cycle de vie : les ouvrages non
pas perpendiculaires mais latéraux aux cours d’eau. Digues, remblais, enrochements altèrent la
diversité et la qualité des habitats aquatiques. En limitant les déplacements de l’anguille vers les
zones humides, les ruisseaux ou les mares, ces constructions privent en e<et l’anguille de lieux de vie
indispensables à sa croissance.
Autre conséquence de ces obstacles : ils a<aiblissent les anguilles en les obligeant à fournir plus
d’e<orts physiques pour contourner les ouvrages. Ils augmentent également le risque de se faire tuer
par des prédateurs : en se concentrant au pied des seuils et des barrages, les anguilles sont comme
prises au piège dans un immense garde-manger dans lequel les espèces telles que le silure n’ont plus
qu’à piocher.
Un impact important sur la qualité des milieux aquatiques
Les ouvrages d’art construits sur les cours d’eau nuisent également indirectement à l’anguille en
modifiant le fonctionnement des écosystèmes dans lesquels elle évolue. Ils modifient profondément
la morphologie et l’hydrologie des milieux aquatiques en empêchant le bon déroulement du transport
naturel des sédiments. Les ouvrages prélevant de grandes quantités d’eau impactent également la
hauteur des rivières ainsi que leur débit, au détriment de la vie aquatique.
En créant des tronçons d’eau stagnante en amont, les obstacles favorisent l’échau<ement et
l’évaporation des eaux, mais aussi leur eutrophisation. Moins brassées, les eaux voient leur teneur en
oxygène chuter et celle en éléments nutritifs (phosphate, azote) augmenter : elles deviennent alors
vulnérables aux proliférations d’algues microscopiques.
Seuls 5 à 10 % des ouvrages équipés de passes à poissons
Des solutions existent pour limiter l’impact des ouvrages sur la continuité des cours d’eau à
commencer par l’e<acement de l’ouvrage (sa destruction), surtout quand il n’a plus d’usage. Des
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dispositifs spéciaux peuvent également être créés pour que les poissons puissent franchir les
obstacles : on appelle cela des « passes à poissons ». On en trouve de toutes sortes : rampe, passe à
bassins successifs, exutoire de dévalaison, écluse à poisson et même ascenseur à poissons ! Mais
selon les chi<res de l’OFB, seuls 5 à 10 % des ouvrages sont équipés de dispositifs de
franchissements. La raison : leur coût souvent prohibitif. Les anguilles sont particulièrement mal
loties : on ne compte que 500 passes spécifiques pour elles en France.
Un plan de restauration de la continuité écologique des cours d’eau lancé en 2009 prévoyait
l’aménagement ou l’effacement de 1 200 ouvrages prioritaires, mais il s’est heurté à de fortes
oppositions des propriétaires des ouvrages, notamment ceux des moulins hydrauliques. La
restauration de 25 000 km de cours d’eau a été actée en 2018, lors des Assises de I’Eau, pour
préserver Ies poissons migrateurs de toute nouveIIe artificiaIisation. La Stratégie Nationale
Biodiversité 2030, annoncée l’an dernier, ambitionne quant à elle de résorber 5 000 points noirs
priorisés par Ies bassins sur Ieurs territoires en grande partie en fonction d’enjeux relatifs aux
migrateurs amphihalins dont l’anguille.