Après le maintien de la pêche à l’anguille décidé en décembre 2023, de nouvelles décisions
politiques viennent menacer encore plus cette espèce en voie de disparition. Cette fois-ci, ce
sont les habitats de cette espèce qui sont visés : les zones humides. En février 2024, le
gouvernement avait ainsi annoncé son intention de « faire une pause » dans la protection de ces
réservoirs de biodiversité.

Estuaires, lagunes, marais, marécages, prairies humides, fossés, tourbières, roselières… Les
espaces de transition entre la terre ferme et l’eau – qu’elle soit douce ou salée – sont des lieux
de vie de prédilection pour les anguilles, comme pour de nombreuses autres espèces
animales et végétales.
Ils constituent des écosystèmes riches, par ailleurs très utiles à la bonne gestion de la
ressource en eau grâce à leurs fonctions d’autoépuration et de régulation des quantités,
comme le feraient des éponges (stockage des excédents l’hiver – prévention des crues – et
relargage d’eau dans les nappes phréatiques en période de sécheresse). Ce sont également
de puissants pièges de carbone, plus encore que les forêts. Pour toutes ces raisons, les zones
humides sont aujourd’hui considérées comme de véritables amortisseurs du changement
climatique.
Des surfaces qui ont diminué de 64 % en 30 ans
Mais ces écosystèmes fragiles se sont réduits comme peau de chagrin au cours du siècle
dernier sous le coup de l’urbanisation. Selon le Ministère de la transition écologique, leur
surface aurait diminué de 64 %, principalement entre les années 1960 et 1990.
Ces zones d’eau stagnante ont longtemps été considérées par l’Homme comme des sites
insalubres. Il a souvent curé, drainé, artificialisé ces « zones tampon » pour construire des
zones portuaires ou touristiques, ou encore agrandir les surfaces agricoles. Parfois, au
contraire, il a complètement délaissé ces espaces qui, faute d’entretien, se sont rebouchés.
C’est le cas par exemple des mares ou des étangs isolés que l’anguille parvient à rejoindre en
rampant sur l’herbe grâce à sa physiologie tout-terrain. A chaque fois, le résultat est le même :
les zones humides s’assèchent, privant l’anguille de lieu de vie. Les experts pointent d’ailleurs
cette perte d’habitat comme l’une des principales raisons du déclin de l’espèce.
Pourtant, dès la mise en place du plan de gestion de l’anguille, en 2009, la France prévoyait
parmi diverses mesures la protection de ses habitats, et notamment celle des zones
humides. L’année suivante, un plan national de sauvegarde de ces zones était même lancé,
suivis par trois autres… mais sans que cela améliore la situation, de l’aveu même de l’Etat.
Une « priorité nationale » vite reléguée aux oubliettes
Alors, en novembre 2023, le gouvernement de Madame Borne changeait de braquet en
faisant de la préservation et remise en état de ces espaces fragiles une « priorité nationale ».
Lors de la présentation de la Stratégie Nationale Biodiversité 2030, l’Etat s’était engagé à
restaurer 50 000 ha de zones humides d’ici 2026, à acquérir 8 500 ha de zones humides et à
créer de nouvelles aires protégées dont un douzième parc national dédié à ces espaces.
Mais le mouvement de colère des agriculteurs en janvier 2024 a fait voler en éclat la volonté
gouvernementale. A la demande des syndicats agricoles, le premier Ministre Gabriel Attal,
successeur de Madame Borne annonçait « faire une pause » dans la protection des zones
humides.
L’anguille, déjà en si mauvaise posture, n’avait pas besoin de ce coup de grâce. Il est grand
temps de faire de la préservation de la biodiversité et des écosystèmes qui l’abritent une
priorité de l’action publique.