
Pesticides, dioxines, plastifiants, métaux lourds, hydrocarbures… Nos rivières sont
souillées par la présence de nombreux contaminants d’origine industrielle ou agricole.
L’anguille compte parmi les espèces les plus exposées à ces polluants, au point que les
autorités sanitaires recommandent de n’en consommer que de façon exceptionnelle.
Les rivières françaises se portent mal. Selon l’OFB (O9ice Français de la Biodiversité), 56,2 % des
cours d’eau sont en mauvais état. Près de la moitié est touchée par des pollutions di9uses (nitrates et
pesticides issus de l’agriculture notamment) et un quart par des pollutions ponctuelles (rejets
industriels, par exemple).
Une espèce plus sensible que les autres
L’anguille est une espèce particulièrement sensible à ces polluants qui peuvent avoir sur elle un e9et
aigu (déficience physiologique, intoxication ou encore empoisonnement) et surtout des e9ets
chroniques, dus à une exposition sur une période prolongée.
La grande vulnérabilité de l’anguille aux polluants s’explique d’abord par sa biologie. Son long séjour
dans les eaux polluées de nos rivières (de 5 à 20 ans) et son régime alimentaire multiplient les
expositions aux contaminants. Ce prédateur se nourrit de larves d’insectes, de vers d’insectes
aquatiques, de crustacés (écrevisses), d’escargots d’eau, de petits poissons mais également de
rongeurs chez l’individu de grande taille. Cette position relativement haute dans la chaîne alimentaire
induit un risque plus élevé de bioaccumulation de polluants, que ce soit de manière directe ou
indirecte. L’anguille cumule en e9et les contaminants présents dans son lieu de vie (bioconcentration)
et ceux déjà présents dans ses proies de niveaux trophiques inférieurs (bioamplification).
Le mode de déplacement est un autre facteur explicatif de sa grande vulnérabilité aux pesticides
répandus dans les champs. Ce poisson a la faculté de pouvoir sortir de l’eau et ramper au sol pour
rejoindre des mares ou des étangs isolés : il peut alors être au contact d’herbicides et de fongicides. Il
est aussi confronté aux insecticides utilisés par exemple pour la démoustication de zones humides.
Un poisson gras qui stocke les contaminants
Le cycle de vie de l’anguille la prédispose à stocker les polluants. La plupart d’entre eux sont
liposolubles, c’est-à-dire qu’ils se dissolvent dans les graisses et s’y accumulent durablement. Or
l’anguille est un poisson gras, et dans les derniers mois précédant sa migration vers l’océan (avalaison
ou dévalaison), elle renforce ses réserves de graisse en vue de ce long chemin jusqu’en mer des
Sargasses. Un trajet de 6 000 km pendant lequel elle ne s’alimente pas : elle puise son énergie
uniquement dans ses graisses qui peuvent représenter 30 % de son poids.
Cette accumulation de divers polluants a des conséquences importantes sur toutes les phases de sa
vie. Elle modifie son système endocrinien et son métabolisme, impactant sa capacité à grandir et à
accumuler des réserves d’énergie. Elle compromet sa migration en l’a9aiblissant et en changeant son
comportement, notamment en désorientant l’animal. Les contaminants diminuent également ses
chances de reproduction en empêchant le bon développement de ses ovocytes. Le CIEM (Conseil
International pour l’Exploration de la Mer) estimait en 2010 que 60 % des anguilles européennes de
huit pays di9érents présentaient un risque de troubles de la reproduction.
Un poisson pollué au point de ne pas être comestible
La sensibilité de l’anguille aux polluants est allée jusqu’à poser des problèmes sanitaires pour
l’homme, au point que sa consommation a été déconseillée. Dans les années 2010, des prélèvements
ont mis en évidence de très fortes teneurs en PCB (PolyChloroBiphényles). Ces produits étaient
utilisés depuis les années 1930 pour fabriquer des vernis, des encres, des peintures et des solvants,
mais avaient été interdits en 1987 car considérés comme cancérigènes, perturbateurs endocriniens,
mutagènes et neurotoxiques.
Deux décennies plus tard, en raison de leur nature persistante (ils ne sont ni biodégradables, ni chimio
dégradables), les PCB continuaient de souiller l’environnement et de s’accumuler dans certains
poissons d’eau douce, dont l’anguille.
Les autorités ont réagi en interdisant la pêche à l’anguille sur certaines portions de cours d’eau
(parfois jusqu’en 2021) et l’ANSES (Agence nationale de Sécurité sanitaire de l’alimentation, de
l’environnement et du travail) en recommandant de ne consommer de l’anguille que de façon
exceptionnelle (deux fois par mois maximum, voire une fois tous les deux mois pour les personnes
fragiles telles que les femmes enceintes). Cette recommandation est toujours d’actualité.
De récentes décisions politiques qui portent atteinte à la survie de l’anguille
Pour mieux protéger l’anguille, une espèce en danger critique d’extinction, il est primordial de
restaurer la qualité chimique de nos cours d’eau en encadrant plus strictement le recours aux
produits polluants.
Mais de récents signaux viennent assombrir l’avenir déjà bien inquiétant de cette espèce. En février
dernier, l’Union européenne a annoncé le retrait d’un projet visant à réduire l’utilisation des pesticides,
et la France l’assouplissement du plan Ecophyto, qui prévoyait de diviser par deux le recours aux
produits phytosanitaires d’ici à 2030.
Il est grand temps que la préservation des écosystèmes et de la biodiversité qu’ils abritent soient pris
en compte dans les politiques publiques.