CO-PRESIDENTS DE TRAITEURS DE FRANCE
« Il faut embarquer toute la filière, des fournisseurs jusqu’au consommateur »
Traiteurs de France est une association qui regroupe une quarantaine de maisons partageant la même ambition: promouvoir l’excellence de la gastronomie française nomade. Elles sont toutes engagées dans un processus d’amélioration continue, tant du point de vue gustatif que sociétal. Leur engagement responsable se traduit notamment par la recherche d’une meilleure maîtrise des impacts environnementaux des 30 000 réceptions qu’elles organisent chaque année. Parmi les champs explorés : les approvisionnements en produits de la mer qui doivent être améliorés pour proposer des plats plus respectueux de la biodiversité marine. Un engagement parfois difficile à tenir quand le reste de la filière ne suit pas.
C’est un club dans lequel il faut montrer patte blanche pour entrer. Pour adhérer à Traiteur de France, les entreprises doivent être certifiées ISO 20121, la seule norme internationale relative à la Responsabilité Sociale et Environnementale (RSE) du secteur de l’événementiel. « Tous nos membres le sont depuis 2017, explique Bernard Cabiron, co-président, à la tête de Maison Cabiron à Montpellier. Cette démarche correspond à une volonté profondément ancrée de notre part. » Ne voyez pas là une réponse à un marché en mutation ou à une prise de conscience de nouveaux enjeux : l’engagement de Traiteurs de France fait partie intégrante d’un processus d’amélioration engagé depuis une vingtaine d’années.
Circuits courts ; produits de saison mais aussi lutte contre le gaspillage alimentaire et la production de déchets au sens large… L’association agit comme un moteur pour embarquer ses adhérents. « Chaque professionnel place le curseur de son engagement en son âme et conscience. Chez Traiteurs de France, on le place haut », analyse Claire Pennarun, co-présidente, à la tête de Maison Pennarun à Quimper.
Chaque année, les membres de l’association organisent 30 000 réceptions à travers toute la France. « Nous sommes conscients d’être un secteur générateur de beaucoup de pollution, cela est inhérent au métier de restaurateur nomade. Nous sommes dans l’éphémère mais nous avons été précurseurs en matière de pratiques durables. Nous n’avons par exemple pas attendu la loi sur le plastique jetable pour utiliser de la vaisselle en porcelaine et des nappages en tissu », poursuit la dirigeante bretonne.
Le problème du polystyrène dans la filière des produits de la mer
Autre satisfaction : les professionnels ont réussi à réduire le volume de leurs déchets en s’appuyant sur leurs fournisseurs qui ont tous revu leurs emballages ces dernières années. Mais une exception vient ternir le tableau : la filière des produits de la mer où le polystyrène reste omniprésent. « Nos fournisseurs choisissent de travailler avec ce matériau jetable, mais ce sont les traiteurs qui en payent le prix en supportant le coût de prise en charge de ce déchet ! Comment pouvons-nous faire pour nous débarrasser de ce matériau non recyclable ? »
Cette impuissance à faire bouger les acteurs de la filière produits de la mer ne se limite pas qu’aux emballages. Les traiteurs se sentent parfois démunis face aux catalogues présentés par leurs fournisseurs : difficile de savoir vers quelles espèces se tourner quand on veut proposer des mets respectueux de la biodiversité marine. Un enjeu important pour les co-présidents de l’association qui exercent tous deux à proximité d’une façade maritime (l’Atlantique pour elle, la Méditerranée pour lui).
« On ne peut pas se voiler la face : la ressource disparaît ». C’est pour mieux gérer leurs approvisionnements en produits de la mer que Traiteurs de France s’est rapproché d’Ethic Ocean. « Notre partenariat nous a beaucoup sensibilisés sur la question de la consommation durable des poissons, analysent les deux dirigeants. Il est primordial d’éviter certaines espèces en danger comme l’anguille. Voilà pourquoi nous avons rejoint l’appel ‘‘Anguille, non merci’’, lancé par Ethic Ocean, même si nous ne commercialisons pas beaucoup ce poisson. »
Convaincre le maillon le plus important : le consommateur final
Que proposer à ses clients comme plats à base de poissons, de coquillages ou de crustacés pour être sûr de ne pas nuire aux ressources de la mer et de nos rivières ? « Pour agir, il faut disposer de connaissances, d’informations scientifiques sur le sujet et Ethic Ocean nous aide beaucoup sur ce point, explique Bernard Cabiron. Le Guide des Espèces que l’association édite chaque année est un outil opérationnel intéressant : on l’utilise pour nos formations, mais aussi au quotidien pour construire nos cartes. »
Claire Pennarun a désormais le réflexe de vérifier les zones de pêche avant de passer ses commandes, notamment pour le cabillaud, dont la plupart des stocks sont dégradés voire effondrés. « Nous avons également compris que les méthodes de pêche étaient un critère important de durabilité. » Autre prise de conscience : la nécessité d’adapter ses achats en fonction des périodes de l’année, afin d’éviter de pêcher des poissons en pleine période de reproduction. La chef d’entreprise bretonne témoigne : « depuis une dizaine d’années, nous avons décidé dans notre restaurant de retirer le bar de notre carte certains mois pour cette raison. Nous n’en n’achetons plus qu’une fois ou deux par an pour ne pas dégrader les ressources. Reste la question de son mode de pêche, le bar étant souvent capturé au chalut. »
Pas après pas, les traiteurs avancent et les interrogations légitimes de ces professionnels de la restauration nomade se multiplient. « Nous utilisons beaucoup de poissons d’élevage, comme le bar, la dorade ou le saumon, témoigne le co-président de Traiteurs de France. Ces poissons présentent l’avantage d’avoir des tailles homogènes, ce qui permet de servir des assiettes identiques à un grand nombre de convives. Mais on s’interroge sur l’opportunité d’utiliser des poissons issus de fermes aquacoles…. Sont-elles toutes bien gérées ? » Pour répondre à ce type de questionnements, Ethic Ocean met son expertise à disposition des traiteurs en leur proposant d’évaluer leurs pratiques individuelles et de les aider à améliorer leurs approvisionnements.
Des espèces durables difficiles à trouver chez les fournisseurs
Mais trouver des alternatives plus durables est parfois compliqué. « Le tacaud, par exemple, est un poisson que l’on souhaiterait mettre en avant dans nos pièces cocktail, sous forme de tartare. Mais on n’arrive pas à en trouver chez nos fournisseurs », se désole Bernard Cabiron.
Quand ce n’est pas la filière amont qui coince, c’est en aval que les réticences se font ressentir. Exemple avec un poisson à la mode en ce moment : le maquereau, à la carte de nombreux restaurants. « Mais cela reste difficile de substituer un poisson dit noble par un maquereau, atteste le co-président de l’association. Ce produit n’est souvent pas en adéquation avec les attentes de nos clients. »
« C’est compliqué de les faire changer d’avis, renchérit la co-présidente. La première étape, c’est d’éveiller les consciences sur le fait qu’on peut manger autre chose que du bar ou du lieu jaune. Et pour cela, il faut travailler sur la communication, c’est un vrai sujet ! ».