10 MARS 2023
Une délégation de restaurateurs membres du GNI-GHR Normandie, des chefs d’établissements parisiens et normands ainsi que des représentants du groupe Bertrand – tous partenaires de l’association Ethic Ocean – sont allés sur le terrain le 28 février dernier, à la rencontre des professionnels de la pêche, à Port-en-Bessin.
Des restaurateurs à la rencontre des pêcheurs normands
Cette rencontre s’inscrit dans la continuité des échanges initiés à Paris en juin 2022 entre le Président du GNI Ile-de-France et les représentants de la pêche normande. Le GNI-GHR s’intéresse depuis plusieurs années aux enjeux des ressources de la mer et est conscient du rôle important que le secteur de la restauration peut jouer pour leur préservation.
Les restaurateurs ont été accueillis mardi dernier à Port-en-Bessin par Manuel Evrard, directeur de l’Organisation des pêcheurs normands (OPN) et Arnauld Manner, Directeur de Normandie Fraîcheur Mer (NFM). Au programme : visite de la criée, d’un atelier de mareyage et d’un navire de pêche, suivies de la présentation de la pêche normande et des actions menées par l’OPN et NFM.
Une pêche côtière
« Deuxième région de pêche maritime en France, la Normandie dispose d’une façade maritime de plus de 600 km de littoral, baignée par les eaux de la Manche, caractérisée par des fonds marins peu profonds, une eau renouvelée en permanence par les marées et par d’importants apports nutritifs continentaux : des conditions propices au développement des végétaux et du plancton et des animaux qui s’en nourrissent : poissons, coquillages…
Répartie dans de nombreux ports et points de débarques, depuis Granville à l’Ouest, jusqu’au Tréport à l’Est, la flotte de pêche normande est constituée de plus de 600 bateaux – essentiellement de pêche côtière qui pratiquent des marées quotidiennes – et de quelques bateaux de pêche au large qui effectuent des marées de quelques jours » explique Arnauld Manner.
L’OPN s’appuie sur l’association Normandie Fraîcheur Mer (NFM), pour valoriser des espèces « bon plan », méconnues et souvent considérées à tort comme moins « nobles » : tacaud, grondin rouge, dorade grise, plie, congre…
L’objectif poursuivi est une prise de conscience sur l’importance de diversifier notre consommation (et par conséquent diversifier les approvisionnements), afin de diminuer la pression sur certaines espèces sur-représentées dans notre alimentation et donc très fortement exploitées ou élevées (cabillaud, saumon…) et ainsi contribuer à préserver les ressources marines tout en se régalant !
« Aller à la rencontre de toute la chaîne de valeur, du pêcheur au mareyeur en passant par la coopérative ou la criée, c’est essentiel pour mieux comprendre les enjeux de la pêche et de la durabilité de ce secteur. Cela nous a également permis grâce à Ethic Ocean de créer du lien avec ces acteurs et de faire en sorte que chaque partie se comprenne mieux. » Carine Legoux, Directrice RSE du Groupe Bertrand.
Les sélaciens
Une des thématiques de cette rencontre concernait les sélaciens, espèces sensibles présentant une grande diversité de situations. Les stocks mondiaux de certaines espèces de raies et de requins sont très fragilisés en raison de pratiques de surpêche, de pêche illégale et du finning*, qui ont conduit à l’effondrement de nombreux stocks et au dérèglement d’écosystèmes marins. La situation est à nuancer pour les requins et les raies pêchés en Manche, dont les stocks, pour certaines espèces, présentent une évolution globale plutôt favorable : petite roussette, émissole tachetée, raie brunette, raie bouclée…
Face au manque d’informations, au manque de données scientifiques ainsi que face à la généralisation des enjeux, l’OPN a mis en œuvre, avec l’appui de NFM, des actions pour aider les pêcheurs normands et l’ensemble de la filière à mieux identifier et tracer les différentes espèces. En effet, les ailes de raies vendues sur les étals sont la plupart du temps regroupées sous le nom de leur famille d’espèces « Raja spp. », sans distinction d’espèces – la saumonette est également proposée sans spécifier le nom de l’espèce de requin concernée. L’amélioration de l’identification des espèces tout au long de la chaîne de commercialisation est un point essentiel pour améliorer les connaissances sur leurs stocks, assurer leur durabilité et mettre en oeuvre des actions de conservation appropriées.
Lors de cette journée, les participants ont pu échanger sur le rôle clé que les restaurateurs peuvent jouer pour contribuer à une meilleure traçabilité de ces espèces, en demandant à leurs fournisseurs l’identification précise (nom scientifique et provenance), afin de pouvoir mieux valoriser les espèces durables, préserver les espèces les plus fragilisées et communiquer sur leur engagement auprès de leurs clients…
A l’image de ce qu’a proposé Jonathan Datin, Chef de l’Edulis à Granville, à ses convives, dès le lendemain ! Petite roussette laquée au miel et graines de sésame, épinards et carottes, provenance Manche Est !
« Cette matinée a été très enrichissante pour nous tous. Les visites suivies des présentations d’un secteur mal connu (même si nous vivons à quelques km) nous ont beaucoup appris. Nous nous devons de nous mobiliser sur ces sujets, de bien savoir utiliser les produits et de faire remonter l’information à nos membres sur les espèces que l’on peut utiliser, et celles que n’on doit éviter selon l’état de leurs populations. Voir des professionnels déjà engagés dans cette démarche tels que le groupe Bertrand est vraiment une bonne chose. Nous sommes conscients qu’il faut changer notre manière de faire, travailler étroitement avec nos fournisseurs, non seulement prioriser le circuit court mais également les sensibiliser et leur transmettre les critères de durabilité. 80% des raies que nous proposons à nos clients sont américaines. Nous devons changer ces pratiques et aller davantage vers nos pêcheurs. » Vincent ROZE, Président du GNI-GHR Normandie Sud.
Pour Slimane Hamzaoui, Président du GNI-GHR Normandie Nord, « cette journée a été très enrichissante. J’ai énormément apprécié la qualité et le professionnalisme des personnes qui nous ont accueillis, Manuel Evrard et Arnauld Manner, ainsi que les explications données par le marin pêcheur et le personnel de l’atelier de mareyage – qui malgré la pénibilité de leur travail montre un grand intérêt pour leur activité. Nous avons beaucoup appris sur la pêche normande et sur ces métiers. J’ai été marqué par les enjeux de traçabilité évoqués, en particulier sur les raies et les « saumonettes ». Nous devrions avoir la même exigence pour les produits de la mer, que celle que nous avons sur la viande, au niveau de leur origine. Nous devons mieux nous tenir informés de l’état des ressources, et demander à nos mareyeurs d’autres espèces que les traditionnels cabillaud, saumon, bar… qui sont trop présents sur nos tables. J’aimerais poursuivre cette sensibilisation prochainement pour nos membres au Havre. »
* La pratique du finning consiste à couper les nageoires des requins et les ailerons des raies et à rejeter les animaux amputés mais encore vivants en mer, sans chance de survie. Malgré l’interdiction du « shark finning » dans ses eaux en 2013, le commerce d’ailerons de requins est toujours autorisé en Union européenne.
Plus d’info : Guide « Raies et requins en Manche » réalisé par OPN, NFM et Ethic Ocean
https://www.normandiefraicheurmer.fr/media/guide_raies_et_requins_en_manche.pdf